 
        Damien Lepetit, fabriquant des skis Amon Davà
Ingénieur de formation, passionné de glisse depuis l’enfance, Damien découvre par hasard la fabrication artisanale des skis. Ce déclic le pousse à expérimenter, à apprendre, puis à construire ses premières paires de skis. Quelques années plus tard, il croise la route de Romain Maniglier, fondateur d’Amon Davà. L’idée d’une reprise s’impose peu à peu. Aujourd’hui, il poursuit l’aventure, entre savoir-faire hérité, innovations discrètes et engagement total dans un métier de passion.
 
     Amon Davà
                Amon Davà                    Reprise et apprentissage du métier
Alexis : Tu viens d’un parcours d’ingénieur. Qu’est-ce qui t’a convaincu de quitter ce cadre pour reprendre un atelier artisanal ?
Damien : Je skie depuis tout petit. Au début, c’était juste un plaisir de vacances, puis c’est devenu une vraie passion. À l’école d’ingénieur, j’ai découvert un club de fabrication de skis, un peu par hasard. Je ne savais même pas qu’on pouvait en fabriquer soi-même. J’ai beaucoup appris sur les matériaux, les outils, les procédés. Après mes études, je n’avais plus accès à la presse de l’école, alors avec mon frère on en a construit une, dans le garage de nos parents. On faisait des skis très simples, juste pour comprendre, pour tester. J’en ai sorti quatre ou cinq paires, pas incroyables à skier, mais ça m’a donné les bases.
Ensuite, j’ai travaillé comme ingénieur, notamment dans l’aéronautique et l’automobile. Rien à voir avec le ski. La presse dormait dans le garage. À la sortie de mon dernier boulot, je me suis retrouvé à me demander ce que je voulais vraiment faire. La réponse est venue assez naturellement : fabriquer des skis, mais cette fois, correctement.
C’est en cherchant du côté des artisans que j’ai découvert qu’il existait des petites marques comme Limpid skis, Phénix Snowboard, Aluflex ou d’autres, plus discrètes. J’ai commencé à les contacter, à leur montrer mes skis, à échanger des conseils techniques. Et c’est comme ça que j’ai rencontré Romain Maniglier, le fondateur d’Amon Davà.
Alexis : Comment s’est passée cette rencontre, et comment la reprise s’est-elle concrétisée ?
Damien : Je suis allé le voir avec mes skis sous le bras. On a parlé de résine, de pressage, de température. Et au fil de la discussion, il m’a dit qu’il cherchait à vendre la boîte. Sur le moment, j’ai trouvé ça complètement fou. Reprendre une entreprise, moi ? Et puis en y réfléchissant, je me suis dit : si on me demandait mon job de rêve, ce serait de fabriquer des skis. J’étais au chômage, j’avais le temps, la motivation… C’était l’occasion ou jamais de me lancer.
Ce qui fait le plus peur au début, c’est l’engagement financier sur la durée. Le prêt, le bail, la perspective de rembourser pendant des années sans savoir combien de paires tu vas vendre. J’ai fait des simulations sur Excel, Romain m’a aidé en partageant ses coûts de matière, ses volumes. Tu te rassures comme tu peux, puis à un moment, tu te lances.

Alexis : La clientèle d’Amon Davà t’a suivi dans cette transition ?
Damien : Oui, mais il faut comprendre que dans ce type d’artisanat, la relation client se construit dans le temps. L’achat d’une paire de skis à plus de 1 000 euros, ce n’est jamais impulsif. Les gens découvrent la marque, testent un modèle, puis gardent l’idée en tête pendant quelques temps.
Certains clients actuels avaient repéré Amon Davà quatre ou cinq ans avant que je reprenne. Le travail de communication de Romain continue donc à porter ses fruits, et celui que je fais aujourd’hui en portera dans deux ou trois ans.
Il faut aussi comprendre que les clients ne reviennent pas tous les hivers. Les skis durent longtemps, ils sont beaux, ils vieillissent bien. C’est un cycle très différent de celui des grandes marques, qui reposent sur la nouveauté permanente.
Alexis : Comment trouves-tu ta place entre respect du travail précédent et envie d’apporter ta propre touche ?
Damien : Franchement, la question ne s’est pas trop posée, ça s’est fait naturellement. Romain a été très ouvert, il m’a encouragé à expérimenter. Il ne m’a jamais dit “ne touche pas à ça”. Le procédé de fabrication, notamment pour la marqueterie, fonctionne bien et donne de très beaux résultats, donc je m’y suis tenu. J’ai plutôt concentré mon énergie sur la production, la régularité et la communication. Petit à petit, j’introduis des nouveautés : de nouvelles essences de bois et des placages teintés. J’ai sept modèles de skis, chacun avec sa “recette”. Redévelopper tout ça prendrait un temps fou. J’ai quand même plein d’idées, notamment un ski de rando plus léger, mais il faut laisser venir.
Alexis : Les grands groupes parlent beaucoup de technologie. Chaque année on a l’impression qu’il y a une nouvelle techno qui va révolutionner l’industrie. Quelle est ta position la-dessus ?
Damien : Disons qu’ils en font beaucoup sur le plan marketing. Les termes “technologie” ou “innovation” reviennent partout, parfois pour désigner des choses assez basiques. “Sidewall technology”, par exemple, ça veut juste dire “ski à chants droits”. “Triple rayon”, c’est une ligne de côte mixte. Rien de révolutionnaire. En réalité, la différence de qualité vient surtout des matériaux et du soin qu’on apporte à l’assemblage. On peut faire du très haut niveau sans avoir une usine derrière soi.
Organisation, production et modèle économique
Alexis : Tu es seul à l’atelier. Comment tu t’organises entre production, commandes et clients ?
Damien : Effectivement, je fabrique seul, mais je ne suis pas complètement isolé. J’ai une comptable qui m’aide pour la partie gestion, ma compagne m’aide souvent sur les skis tests, une amie menuisière me donne des conseils sur les chiffres, et une amie graphiste m’épaule parfois sur des visuels. C’est une sorte de petit écosystème autour de moi.
Côté clients, tout part de la communication. Le site web, les réseaux sociaux, les journées test sur les pistes, les salons ou les marchés : tout sert à faire savoir que la marque existe. Une fois que les gens m’appellent, c’est souvent bien engagé. En général, ils ont déjà parcouru le site, repéré un modèle, et ils veulent juste confirmer que c’est ce qu’il leur faut. Je leur propose souvent de venir essayer une paire. Et même si je ne les rencontre pas tous, la plupart aiment avoir un contact direct avant de commander.

Alexis : Tu produis environ quarante paires par an. C’est une limite que tu t’imposes ?
Damien : Disons que je suis plutôt autour de trente aujourd’hui, et quarante serait un bon rythme. Ce n’est pas un plafond, c’est une question d’équilibre. Si la demande augmente, je peux déléguer certaines étapes, comme la préparation des semelles (mise à plat, structure, fartage et affutage). Ce sont des tâches que je peux confier à un atelier partenaire. Et si ça continue à croître, il y a toujours des solutions : sous-traiter des éléments, embaucher, ou confier le design à quelqu’un d’autre.
Alexis : Tu arrives à t’y retrouver financièrement ?
Damien : Je me paye, mais sans excès. L’objectif, c’est de consolider la base. J’ai compris qu’il fallait savoir investir au bon moment. Par exemple, récemment, je me suis dit que si je ne faisais pas un vrai effort de communication, j’allais m’essouffler. J’avais un peu de trésorerie, alors j’ai décidé d’investir dans la com, quitte à prendre un petit risque. Parfois, il faut oser dépenser au bon endroit.
Alexis : Est-ce que tu rates encore des paires ?
Damien : Disons qu’il y a toujours un petit défaut quelque part, souvent invisible pour le client. Ça peut être un placage un peu trop poncé, une micro-différence sur la jonction des carres. Pour moi, 1 millimètre d’écart, c’est déjà un défaut. Je suis maniaque. Mais je n’ai jamais eu à jeter une paire entière. Si quelque chose cloche, il y a toujours moyen de rattraper les erreurs sans altérer la déco et la performance.

Marché, clients et positionnement
Alexis : Comment se positionne les skis Amon Davà : objet artisanal ou produit sportif ?
Damien : Les deux. En général, une personne sur trois me dit “ils sont trop beaux, j’oserais pas skier avec”. Mais moi, je suis d’abord passionné de ski, pas de déco. L’objectif, c’est que mes skis soient performants et agréables à skier. La marqueterie, c’est la signature, pas une vitrine. Et puis, je les protège bien : une fine couche de fibre de verre permet de les reponcer et de les revernir si besoin.
Mes clients sont des passionnés, souvent des gens qui ont déjà eu plusieurs paires dans leur vie de skieur et qui veulent passer à quelque chose de plus personnel. Certains viennent parce qu’ils veulent une géométrie précise que l’industrie ne propose pas. D’autres, simplement parce qu’ils trouvent les skis magnifiques. Ce sont des gens normaux, pas des milliardaires. La plupart ont entre 30 et 60 ans, et beaucoup achètent pour offrir. J’ai rarement des clients insatisfaits.
Alexis : Tu as déjà eu envie de garder une paire pour toi ?
Damien : Oui, ça m’arrive, surtout pour certaines marqueteries dont j’aime particulièrement les couleurs ou le dessin. Techniquement, j’ai déjà un exemplaire de chaque modèle pour mes tests, mais il y a des décos que j’aimerais bien garder pour moi !
Alexis : L’artisanat du ski reste une niche. Qu’est-ce qu’il lui manque pour être mieux reconnu ?
Damien : De la visibilité, clairement. Il y a plein de skieurs qui ne savent même pas que ces ateliers indépendants existent. Beaucoup pensent qu’un ski “fait main” serait fragile ou peu performant. C’est le contraire. Nos produits durent longtemps, sont révisables, et fabriqués avec des matériaux de qualité. Le plus dur, c’est de le faire savoir.

Innovation, climat et avenir du métier
Alexis : Sur quoi portes-tu ton effort d’innovation aujourd’hui ?
Damien : Sur le processus de fabrication. Je cherche à être plus précis, plus régulier, et à gagner du temps sans rien sacrifier. Actuellement, la précision est déjà bonne, mais je veux qu’elle soit automatique, sans devoir tout vérifier. J’expérimente aussi des choses sur le design : des placages teintés très vifs, ou des inserts métalliques dans la marqueterie. Sur la skiabilité, les marges d’innovation sont plus fines. On peut jouer sur l’essence du bois, l’épaisseur du noyau, la fibre, la combinaison verre-carbone, mais il n’y a pas de révolution à attendre. Si les grandes marques n’ont pas trouvé le matériau miracle, c’est qu’il n’existe pas.
En revanche, sur les procédés, oui : avec un ami automaticien, on développe une cintreuse pour les carres. Avant, on les chauffait au chalumeau, mais ça détrempe le métal et l’affaiblit. Là, l’idée, c’est de faire un cintrage propre, régulier, sans chauffe, donc plus durable.
Alexis : Et le changement climatique, la neige plus rare, ça influence ta manière de concevoir ?
Damien : Pas vraiment, en tout cas pas encore. Je n’ai pas redessiné mes modèles pour ça. Les gens skient les conditions qu’ils trouvent, ils s’adaptent. Peut-être que la demande se déplacera d’un type de ski à un autre, mais pour l’instant je ne vois pas d’effet concret. Et puis, mes clients sont des passionnés : même s’il y a moins de neige, ils continueront à skier, en rando s’il faut. Les premiers touchés par le manque de neige, ce seront les loueurs et les grandes marques, pas les artisans. C’est d’ailleurs pour ça que certains groupes se diversifient dans le vélo ou d’autres sports.
Alexis : Tu te sens plus entrepreneur, artisan ou ingénieur ?
Damien : Un peu tout à la fois. Entrepreneur, parce que mon principal défi, c’est la communication et la gestion des commandes. Artisan, parce que je travaille la matière chaque jour, à la main, et que c’est ce que j’aime. Ingénieur, parce que ma formation me sert tous les jours : que ce soit pour calculer la flexion d’un ski, diagnostiquer une panne d’outillage ou comprendre les réactions d’une résine. Ce bagage technique me fait gagner beaucoup de temps.
Alexis : Et selon toi, quel avenir pour la filière artisanale ?
Damien : Je crois à la force du collectif en termes de visibilité. Il faudrait qu’on soit plus présents, qu’on parle plus de nos savoir-faire. On a un vrai public potentiel, simplement il ne sait pas qu’on existe.
On me propose parfois de faire des snowboards ou des wakeboards. Techniquement, ce serait possible. Si la demande était forte, je le ferais. Mais pour l’instant, je préfère me concentrer sur ce que je sais faire à fond : les skis.
Alexis : Amon Davà dans dix ans ?
Damien : Franchement, difficile à dire. Peut-être que j’aurai transmis la marque à quelqu’un d’autre. Je vois ce métier comme une aventure de vie : une phase où tu apprends énormément, où tu t’éclates, puis un moment où tu passes à autre chose. Si un jour j’ai beaucoup de commandes, je ferai évoluer la structure. Si ce n’est pas le cas, je la ferai vivre à son échelle. Ce qui compte, c’est de continuer à apprendre, à s’amuser et à en vivre correctement.
Alexis : Et un conseil pour quelqu’un qui voudrait se lancer ?
Damien : Savoir dépenser son argent au bon endroit et au bon moment. C’est bête à dire, mais c’est essentiel. Au début, j’étais trop prudent. Maintenant, je sais qu’il faut parfois investir notamment en communication, en matériel ou en image pour passer un cap. Et à l’inverse, ne pas se laisser tenter par les outils les plus chers quand ce n’est pas utile. Il faut trouver la juste mesure.
Alexis : Il y a des personnes qui t’inspirent en particulier ?
Damien : Romain (le fondateur de Amon Davà), mon prédécesseur, reste aussi une grande source d’inspiration pour moi. On s’est tout de suite bien entendus. Il m’a laissé la main, tout en me guidant. Il m’a fait confiance très vite, et ça, c’est rare.
Il y a aussi Daniel Serre de chez Aluflex. C’est une vraie mémoire du ski et du snowboard. Il a tout vu se créer. Leurs skis sont d’une qualité incroyable.
Enfin, ma compagne joue aussi un rôle important : elle a une vision claire de ce que doit être une entreprise, et elle m’aide à prendre les bonnes décisions, surtout quand il faut investir.
Découvrir les skis Amon Davà sur le site officiel.
















Crédit photo : François Duret (instagram)
 
                    
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