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Guillaume Bertrand, fondateur de La Planche Mauriennaise

Installé à Albiez, en Maurienne, Guillaume Bertrand a troqué la combinaison de pisteur pour l’atelier de shaper. Avec La Planche Mauriennaise, il défend une autre idée du ski : locale, exigeante, patiente. Loin du marketing et des productions en série. Entretien.

Guillaume Bertrand
Guillaume Bertrand
Fondateur
LPM (La Planche Mauriennaise) LPM (La Planche Mauriennaise)

Des pistes aux ateliers : un parcours façonné par la montagne

Alexis : Avant La Planche Mauriennaise (LPM), tu avais déjà un long parcours dans la montagne. Tu peux revenir un peu sur ton chemin avant cette aventure ?

Guillaume : Oui, je suis originaire de la région lyonnaise, du Beaujolais plus précisément. Avec mes parents, on partait souvent en montagne, l’hiver pour le ski, l’été pour la rando.

Ça m’a toujours attiré. Après un BT Accueil-Tourisme, j’ai rapidement enchaîné les saisons.

J’ai commencé en 1996 aux Deux Alpes, dans les remontées mécaniques, et c’est là que j’ai découvert le métier de pisteur-secouriste. J’ai passé le brevet en 1999.

Alexis : Et c’est à ce moment-là que tu arrives en Maurienne ?

Guillaume : Oui, à peu près. Je suis arrivé à Albiez en 2002. J’y suis resté plusieurs saisons comme pisteur.

Ensuite, je suis parti un temps en Suisse, à Crans-Montana, où j’ai bossé comme moniteur dans une école de ski indépendante.

C’était une petite structure, très humaine. On avait cinq élèves max par cours. J’ai beaucoup appris là-bas, sur la pédagogie, sur la relation à la glisse aussi.

Alexis : Et qu’est-ce qui t’a donné envie de passer du terrain à l’atelier ?

Guillaume : Ça remonte à cette époque justement. J’ai toujours été passionné par le matériel, les évolutions techniques.

Au début des années 2000, il y a eu la révolution des skis paraboliques, inspirés du snowboard. Tout changeait vite, et je regardais ça de près.

J’avais un pote qui faisait fabriquer ses skis en Argentine sous la marque White Crystal. Je me suis fait faire une paire, puis deux… et ça m’a donné envie d’aller plus loin, de comprendre comment c’était fait.

À l’atelier.

Alexis : Donc la curiosité t’a mené à la fabrication ?

Guillaume : Exactement. Vers 2015, j’ai commencé à creuser le sujet sérieusement, à me rapprocher de fournisseurs, à me documenter sur les procédés.

J’ai voulu faire mes propres skis, à ma manière. Et en 2017, La Planche Mauriennaise est née.

Au début, j’ai travaillé sur deux largeurs : un freeride autour de 100-105 mm au patin, et un plus gros modèle à 122. Je voulais d’abord tester, valider les constructions, pas me lancer dans la vente tout de suite. J’ai pris le temps de comprendre comment le bois, les fibres et la presse réagissaient ensemble. La commercialisation a vraiment commencé en 2019.

Savoir-faire, philosophie et ancrage local

Alexis : Si tu devais résumer La Planche Mauriennaise en une phrase ?

Guillaume : Des skis de qualité, faits pour durer. C’est simple, mais c’est vraiment ce qui nous guide.

Alexis : Quand tu façonnes une paire, qu’est-ce qui te guide le plus ? Le toucher, la glisse, ou les matériaux ?

Guillaume : On part toujours du bois. Pour moi, la base, c’est le noyau. Les industriels compensent souvent la qualité moyenne du noyau avec des grammages de fibre très lourds.

Nous, on fait l’inverse : on soigne le bois, sa densité, sa mécanique, et on adapte les fibres autour. C’est une philosophie artisanale.

Au début, j’achetais mes noyaux tout faits. Puis j’ai bossé avec un menuisier en Haute Maurienne. On a étudié ensemble les propriétés du bois, les collages, le comportement en flexion.

Alexis : Et le carbone, tu l’utilises comment dans tes constructions ?

Guillaume : On en met, oui, mais avec parcimonie. Le carbone a du sens dans certaines constructions légères, où il remplace partiellement la fibre de verre. Mais il faut savoir où le mettre. Trop de carbone rend le ski trop sec, trop exigeant. C’est toujours une question d’équilibre : plus tu allèges, plus tu fragilises, donc il faut trouver le juste milieu.

Alexis : Et ça te donne des skis plus rigides que la moyenne, non ?

Guillaume : Oui, souvent. On vise des skieurs intermédiaires à confirmés, pas les débutants.

C’est un choix. On ne cherche pas à concurrencer les grandes marques. On fait des skis avec du caractère. Et quand un client teste un modèle, on ajuste ensuite le flex selon son ressenti. C’est du sur-mesure, mais sans artifices.

Alexis : Tu travailles aussi avec des artisans locaux ?

Guillaume : Un maximum. Le bois, je le prends quand je peux dans la vallée de la Maurienne. Je fais débiter, sécher, et je garde un roulement.

Après, pour certains composants comme les topsheets, je passe par des fournisseurs européens : ISOSport en Autriche pour la matière, un atelier italien pour la sublimation.

On reste en Europe, c’est important. Et puis le reste, le façonnage, l’assemblage, la presse, tout est fait ici, à Albiez.

On ne bâcle pas un ski. On presse à froid, on laisse le temps faire son travail. C’est un choix de rythme, pas une contrainte.

Guillaume Bertrand

Alexis : Tu parles souvent du rythme artisanal. Qu’est-ce que ça implique concrètement ?

Guillaume : On presse à froid, donc c’est plus long qu’en industrie. Mais ce temps-là, c’est aussi une garantie de qualité. On laisse les matériaux prendre leur place, on ne bâcle pas un ski. C’est un choix de rythme, pas une contrainte.

Alexis : On sent que la Maurienne est plus qu’un décor pour toi.

Ici, je teste mes skis dans les mêmes conditions que mes clients. Ce n’est pas du marketing, c’est juste cohérent.

Guillaume Bertrand

Guillaume : Oui. C’est un cadre qui conditionne, qui inspire sans qu’on s’en rende compte.

Ici, je suis au contact des pentes, de la neige, je teste mes skis dans les mêmes conditions que mes clients. C’est pas du marketing, c’est juste cohérent.

Alexis : D’ailleurs, le nom “La Planche Mauriennaise” ne t’a jamais posé problème ?

Guillaume : (sourire) Ah, la fameuse rivalité avec la Tarentaise… Oui, on l’a senti passer ! Certains skieurs là-bas ont tiqué juste à cause du nom.

Du coup, on communique de plus en plus sous “LPM Ski”, c’est plus neutre.

Alexis : Et ton logo, il rappelle un peu celui d’Opinel…

Guillaume : En fait, les deux logos (LPM et Opinel) viennent du même symbole : la main de Saint-Jean-de-Maurienne. Opinel l’a reprise en ajoutant une couronne.

D’ailleurs, l’Opinel est né à Albiez, alors ça reste cohérent.

Marché, vision et transmission

Alexis : Quand tu observes le marché du ski aujourd’hui, tu ressens une pression à innover ou à suivre la tendance ?

Guillaume : Franchement, non. Les grandes marques ont tellement d’échelons de décision que leurs cycles sont plus lents. Nous, on avance plus librement, on teste, on adapte vite.

On regarde bien sûr ce qui se fait, surtout du côté américain, où les forums de shapers sont très actifs, mais sans copier. Le shaper, Vincent Savorani, échange beaucoup sur les forums. Les Américains ont souvent un an d’avance sur les tendances. C’est inspirant sans être dominant.

Vincent m’a aussi aidé à professionnaliser la conception : gabarits, fichiers DXF, plans propres. C’est un vrai binôme de travail, même si on reste sur une fabrication artisanale sans commande numérique.

Alexis : Et côté public ? Tu sens un intérêt croissant pour le local, l’artisanal ?

Guillaume : Oui et non. Les gens ont conscience des enjeux (environnement, durabilité, impact) mais entre dire et faire, il y a un fossé. La qualité, ça a un coût, et tout le monde n’est pas prêt à le payer.

Un peu comme dans la fast fashion.

Cela dit, j’ai des clients qui viennent vraiment chercher autre chose : un ski qu’ils gardent, qu’ils font entretenir, qu’ils comprennent. Souvent, c’est des passionnés, 40-50 ans, qui savent ce qu’ils veulent.

Alexis : Tu vois des changements dans les pratiques ou les attentes des skieurs ?

Guillaume : Oui, clairement. Les hivers récents changent tout : la neige se fait rare, les clients se tournent plus vers des skis entre 88 et 97 mm. Les 105 ou 120 sortent beaucoup moins. On suit cette tendance naturelle, pas par opportunisme, mais parce que ça correspond à la réalité du terrain.

Alexis : Tu proposes aussi de la personnalisation, non ?

Guillaume : Oui. Il y a de plus en plus de demande pour ça. Au début, c’était rare, mais aujourd’hui, presque la moitié des commandes ont une déco ou un flex sur mesure.

Ça coûte un peu plus cher, mais au final, c’est un ski unique. Et pour moi, c’est la plus belle reconnaissance : quelqu’un qui veut son ski sur-mesure (ou presque).

Alexis : Tu as connu des galères dans le processus ?

Guillaume : Bien sûr. Des arrachements de fixations, des top sheets capricieux… Mais ce sont des erreurs « normales ». Chaque raté a affiné notre savoir-faire. On apprend en pressant, pas en lisant.

On a aussi testé pas mal de choses : différentes essences de bois, plusieurs types de chants, de stratifications. Parfois ça marche, parfois non. C’est ça le vrai apprentissage : comprendre pourquoi un ski réagit différemment, et ajuster jusqu’à trouver l’équilibre.

Alexis : Si un jeune voulait se lancer dans le ski artisanal, tu lui dirais quoi ?

Guillaume : D’y aller doucement. De bien comprendre les matériaux, les contraintes, et de ne pas sous-estimer la partie commerciale.

Le marché se contracte : moins de neige, pouvoir d’achat en baisse. Il faut trouver sa niche, être cohérent, patient.

Alexis : Tu as des ambassadeurs, non ?

Guillaume : Oui, aujourd’hui, je travaille avec des gens vraiment investis.

Par exemple, Florent Cuviller fait partie de la team depuis longtemps. Il joue le jeu, il teste, il partage. J’ai aussi Pierre Boucher, un guide, et aussi un moniteur diplômé qui a fait des coupes d’Europe de speed-riding.

On a aussi fait la distinction entre les concepteurs c’est à dire ceux qui participent vraiment au développement technique. Les ambassadeurs sont plus tournés vers la visibilité et les tests. Au début, tout était mélangé, ça prêtait à confusion.

Les ambassadeurs de La Planche Mauriennaise sont avant tout des skieurs investis qui testent le matériel, font des retours précis et assurent une présence sur les ski-tests ou les réseaux.

Alexis : Et des figures qui t’inspirent ?

Guillaume : Quand j’ai commencé les saisons, c’étaient Candide Thovex et Seth Morrison qui me faisaient rêver. Les deux sortaient du lot à leur époque, chacun dans son domaine, Candide dans le freestyle, Morrison dans le freeride.

Candide a même lancé sa marque, avec trois modèles seulement. J’aime bien cette idée : il fait ses skis, à sa manière, sans dépendre de personne. Je pense qu’il produit peu, sûrement en quantité limitée, et que tout part vite.

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Crédits photo: Alban Pernet.

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