
Se faire un genou, une histoire banale
j’ai skié des années et des années sans jamais vraiment faire attention à mes genoux. J’étais jeune, résilient, je pouvais sauter des big airs en me tordant les articulations pour faire des octograbs. Puis un jour, une dernière session de la journée, sur un dernier saut dans un snowpark, réception parfaite, mais jambes fatiguées, et… CLAC.
La chute
Le genou ne se plie pas comme d’habitude, il se plie vers l’intérieur, je déchausse et je m’éclate par terre. Étalé sur la réception comme une crêpe, personne ne m’a vu, mais je le sens, je le sais, quelque chose à casser.
Et ça fait TRÈS mal.
J’arrive quand même à descendre jusqu’aux pieds des pistes sur un ski. La douleur est intense… Je vais voir les secouristes pour avoir un avis. On me dit que c’est rien, juste des égratignures… Ok, on va voir ça dans quelques jours.
Quelques jours à marcher à cloche pied. Rien de trop dramatique, petit à petit je retrouve ma mobilité.
Bon ben en fait, c’était rien !
Fausse alerte ?
Au fil des jours et des semaines, rien à signaler. Une douleur et du mal à étendre la jambe mais vraiment, rien d’alarmant en vrai. Jusqu’au jour où je décide d’aller voir un kiné, parce que, quand même j’ai besoin d’améliorer ce genou qui ne se plie plus complètement.
Après m’avoir interrogé sur ma venue, la kiné me dit comme si de rien était : « Ça pourrait être une rupture du ligament… ».
Je ne crois pas mes oreilles. Après avoir vu les secouristes, et aussi un médecin généraliste auparavant, aucun n’avait descellé une potentielle rupture de ligament. Vraiment étrange.
Verdict
Malheureusement, le verdict tombe après un scanner. Oui : rupture complète du ligament (Ligament Croisé Antérieur). On rajoute aussi une fissure du plateau tibial et un ménisque bien abîmé présentant un « flap », un déchirement partiel qu’il faudra enlever.
C’est le début de la longue épreuve qui commence réellement.
La chirurgie est prévue dans plusieurs mois. On me dit de muscler mes jambes, notamment les quadriceps, car j’en aurai bien besoin pour me rééduquer plus rapidement, et surtout pour diminuer la perte de masse musculaire liée à une immobilisation de trois semaines.
Enfin, vient le jour de la chirurgie. Tout semble bien se passer, la chirurgie se déroule en moins de deux heures. Le tour est joué.
Un peu dans les vapes, j’arrive à suivre l’opération sur écran. Sensations étranges.
Le soir-même, je rentre à la maison en me disant que c’était pas si difficile. Oui mais voilà, les anti-douleurs et l’anesthésie s’atténue.
Le genou est alors en feu, et la jambe est complètement immobile dans un atèle imposant. Ça se complique.
La rééducation
La première nuit est longue, chaque mouvement dans le lit, me réveille. Dès le lendemain, on fait les premiers exercices de rééducation à la maison. La kiné vient et me bouge le genou et la jambe dans tous les sens. Douleur 10/10.
Ce niveau de douleur est étonnant mais ça peut arriver. C’est quand même un peu étonnant, la kiné me dit que ça devrait s’améliorer lentement, et surtout qu’il faut retrouver la flexion et l’extension aussi tôt que possible.
Les jours passent, la flexion s’améliore, mais on est loin des objectifs, il manque toujours des fichus degrés pour que je puisse plier et étendre la jambe entièrement. C’est bizarre, comme s’il y avait quelque chose qui bloquait dans le genou.
Les semaines passent, les séances de rééducation se poursuivent, mais franchement, les progrès sont au point mort depuis longtemps. Oui, je peux marcher, je peux courir, mais le genou fait mal quand je dois faire une extension complète, ce qui est quelque chose que l’on fait constamment au quotidien, sans s’en rendre compte.
Les visites mensuelles chez le chirurgien, sans évolution notable, ne le laisse pas indifférent, mais il se contente d’injecter des infiltrations dans le genou avec une aiguille de 20 centimètres.
Sympa. Efficace pendant 12 heures, et après retour à la case départ, la douleur revient.
Comme un hic.
Bon, finalement, ce genou c’est une bonne vieille galère… C’est moi qui suis un mauvais patient ? Je ne fais pas assez d’étirement, de muscu ? Ou bien la chirurgie a merdé ?
J’ai toujours espoir après six mois, mais franchement, j’ai toujours mal. Les autres personnes qui se sont fait opérer le même jour que moi gambadent comme des lapins, pendant que je traine la patte et me plains de douleurs constamment.
Le chirurgien se résout finalement à me faire faire un autre scanner, il n’a pas trop l’air de me croire quand je dis que j’ai mal… Est-ce que j’imagine cette douleur ? J’en viens presque à douter.
Deuxième opération
Mais ô surprise ! Le scanner montre quelque chose ! Il y a un bout d’os, « un flocon » d’os qui n’a pas été proprement nettoyé lors de la chirurgie et qui se balade dans l’articulation du genou depuis six mois.
En gros, dès que je marche, c’est comme s’il y avait un grain de sable dans le rouage, ça bloque, ça frotte et ça fait mal…
Bon ben voilà, la chirurgie initiale a bien merdé. C’est pas une douleur imaginaire !
Une seconde opération, bien plus minime, est prévue dans quelques semaines pour résoudre ce problème qui est bien réel. Une nouvelle incision, juste assez grande pour aller retirer ce corps étranger gênant.
Et effectivement, seulement quelques heures après l’anesthésie, je re-vie. La douleur est partie immédiatement !
Cette longue épreuve de rééducation, à galérer avec des béquilles pendant trois semaines et ensuite se faire mal en rééduc’ et en musculation, ont finalement fini par payer.
Je me sens enfin prêt, après presque un an.
Un an à faire très peu de sport, et à penser uniquement à la rééducation, au genou, avec en filigrane l’idée de pouvoir remonter sur des skis rapidement.
La blessure s’est produite fin mars, je suis enfin prêt en mars de l’année suivante !
La blessure invisible
Mais en réalité, la blessure n’est pas derrière moi encore. La blessure invisible, c’est la blessure mentale : l’appréhension.
Après avoir lutté pendant des mois pour revenir à une forme physique acceptable, il a fallu faire des sacrifices et souffrir pour enfin remettre des skis aux pieds. Mais rien n’est acquis, rien n’a été facile.
Alors, le jour où je me retrouve finalement aux pieds des pistes, il y a une grosse appréhension qui s’installe. Et si…
Et si mon genou n’avait pas si bien guéri ?
Et si je tombais ? Là, bêtement ?
Et si dans un virage un peu appuyé, mon genou lâchait soudainement ?
Et si, et si…
Alors, on y va doucement, on hésite, on ne veut pas trop envoyer, les premiers petits sauts sont comme des plongeons en apnée. On se dit, voyons voir ce qu’il va se passer à la réception.
Cette phase d’incertitude peut durer longtemps, pour moi, elle a duré plusieurs mois, facilement. Presque une saison complète.
Cette lutte est celle dont les médecins ne parlent pas, et pourtant elle est bien réelle et il faut s’y préparer. Pour accepter de prendre à nouveau des risques, il va aussi falloir accepter de pouvoir se blesser à nouveau. Le même genou, l’autre genou ?
En fait, il est aussi possible que tout se passe bien, hein.
Et que tout ça soit derrière nous, mais c’est difficile de juste oublier cette épreuve qui a été douloureuse, pénible et longue.
On ne veut pas se refaire un mois de béquilles, six mois de rééduc’ et deux opérations, juste pour pouvoir faire des 360 et cork 7.
Est-ce que ça en vaut vraiment le coup ? Eh bien, Oui.
L’acceptation
En réalité, dans la vie, comme sur les skis, on prend des risques, pour avancer, pour expérimenter, pour découvrir et simplement se faire plaisir. Même sans rechercher la performance du haut niveau, les blessures font parties du ski et de la plupart des sports où il y a un minimum d’engagement et d’exposition.
Il faut donc accepter qu’on puisse se blesser et se blesser encore pour pouvoir se donner à 100% sur les skis et en dehors. La blessure n’est une fatalité, mais elle n’est jamais loin pour vous rappeler à l’ordre.
C’est quoi, la leçon dans tout ça ?
- On n’est pas indestructible
- On ne tente rien de fou à la fin d’une journée de ski
- Si on est fatigué, on écoute son corps
- La confiance, finit par revenir…
- Être patient, très patient
- Prendre des risques fait partie de la vie. En subir les conséquences aussi !
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